Interview avec un poilu qui a lutté pour la France dans la Grande Guerre
Bonjour M. Muenier. Je suis très heureux que j’ai finalement trouvé un poilu avec qui je peux parler des champs de bataille de la Grande Guerre.
Vous avez raison que c’est très important de
savoir qui s’est passé aux champs de bataille les plus terrible du monde.
Qu’est-ce qu’était votre travail là dedans et
qu’est ce que vous avez éprouvé ?
Une autre fois, nous sommes dans une longue tranchée, pleine de morts ;
une odeur affreuse monte de l'immense charnier. Soudain, le barrage boche se
déclenche. Je vois des camarades, les yeux agrandis par l'épouvante, regarder
vers le ciel, frappés de stupeur : Je regarde à mon tour, et je vois, retombant
d'au moins 20 mètres, une pauvre chose inerte, bras et jambes ballantes, comme
un pantin sans articulations qu'on aurait jeté d'un avion, d'un ballon. C'est
un camarade qui a été soulevé comme une plume par le déplacement d'air d'un
obus. Quelques minutes plus tard, un
obus éclate si près de moi que je vois très nettement une boule de feu. Par
miracle, je ne suis que légèrement blessé, et je vais dans un petit gourbi, à
flanc de ravin pour y attendre la relève. Je partage l'étroit abri avec un
autre blessé. Tout à coup, un tir de barrage éclate tout près et un obus tombe
juste au-dessus de nous, nous ensevelissant. Alors pour nous, le bombardement
devient lointain, lointain… je me rends compte du tragique de la situation ; si
personne ne vient à notre secours, nous sommes perdus. Le malheureux qui
partage ma tombe est étouffé par la terre ; trois fois de suite, je l'entends
faire rronn, rronn, rronn, puis c'est tout ; je devine qu'il est mort ; il n'a
pas souffert longtemps.
De tous mes efforts, j'essaie de me soulever, mais trois mètres de terre nous
retiennent prisonniers ; par une habitude heureuse que j'avais toujours au
front, j'ai toujours sur la tête mon casque avec jugulaire au menton ; la
visière avant retient la terre et l'empêche de m'obstruer la bouche. La tête
rabattue sur la poitrine, respirant à peine, je garde néanmoins toute ma
lucidité. Je me rends parfaitement compte que tout sera bientôt fini ; alors,
comme un film de cinéma, toutes sortes de souvenirs se présentent à ma mémoire,
mais surtout, je pense à ma mère, à la peine qui sera la sienne lorsqu'elle
saura tout ; puis j'entrevois mon père et mon frère décédés que je vais revoir,
mes frères et ma sœur qui pleureront aussi à cause de moi ; alors, avec calme,
avec toute ma connaissance, du plus profond de mon cœur, je fais mon acte de
contrition, demandant à Dieu d'abréger au plus tôt mon martyre ; puis, des
minutes s'écoulent, qui n'étaient peut-être que des secondes, mais qui m'ont
paru des heures interminables. Je sens que ma tête bourdonne ; des bruits de
cloches semblent sonner très fort, puis plus rien. De nouveau, je reprends
connaissance, et à ce moment, je me souviens m'être fait cette réflexion :
"Ce n'est pas si dur de mourir…"
Combien de temps suis-je resté ici ? c'est flou, mais assez longtemps, au moins
25 minutes, je l'ai su après. Au déclenchement du barrage, tous les camarades
se sont sauvés ; quand cela s'est calmé, ils reviennent. C'est alors que le
sergent Sèle s'inquiète de moi. Sèle est un camarade qui a fait notre
admiration pendant les journées de Verdun par son courage et son sang-froid.
"Où est Marybrasse ?" demande-t-il. C'est alors qu'il s'aperçoit de
l'éboulement ; il m'appelle : "Marybrasse, Marybrasse, es-tu là ? "
Comme dans un rêve, je l'entends vaguement et ne puis répondre. Persuadé que je
suis dessous, il ordonne à quelques hommes de piocher rapidement. J'entends des
coups lointains qui se rapprochent ; je me dis : "Ils n'arriveront pas
jusqu'à moi…" Enfin, j'entends plus distinctement les coups, j'entends
même que l'on parle. Sèle dit à ses hommes : "Attention maintenant.
"Je sens une main sur mon casque : "J'en tiens un ! "s'écrie
Sèle, et alors, de ses mains, il me dégage vivement la tête.
Comment dire ce que j'ai ressenti à ce moment ? Retrouver la vie au moment où
je croyais bien la perdre, sentir l'air pur de la nuit… Tout cela m'a ranimé,
je me sens sauvé, je pleure de joie. Je remercie mon sauveur, nous nous
embrassons. "
C’est très emouvant d’entendre le récit de vos expériences. Pour conclure
je vous demande finalement : Qu’ est-ce que vous avez appris de la
bateille de Verdun où est-ce que vous pouvez nous donner des conseils pour la
vie d’aujourd’hui en regardant les crises du monde ?
Sûrement. La bateille de Verdun, c’était le pire que je n’aie jamais vu.
Ce dontj’ai fait l’expérience, c’est impossible à expliquer aux gens
d’aujourd’hui. Je peux seulment donner le conseil à tous les gens qui n’ont
jamais participé à une guerrre de s’engager pour la paix. La paix c’est la
chose la plus importante dans le monde. Il faut notre engagement. Sinon une
telle catastrophe va de nouveau arriver.