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sur le VIH
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n°58 - septembre 97


Aspects cliniques

Sophie Matheron
service des maladies infectieuses et tropicales (Pr Coulaud) Groupe Hospitalier Bichat - Claude Bernard (Paris)








Comment favoriser le diagnostic précoce de l'infection VIH ?

La problématique prioritaire du diagnostic clinique de l’infection par le VIH est celle de la stratégie de dépistage des symptômes associés à cet événement. Ce dépistage clinique est le pré-requis de la précocité du diagnostic; il permet de poser l’indication de tests virologiques, dont le choix et la rapidité de réalisation, décidés en collaboration avec les virologues, permettront un diagnostic de certitude et, partant, un traitement dont on sait aujourd’hui les conséquences pronostiques potentielles.

La revue de la littérature de 1993 à 1996 permet d’évaluer la fréquence des formes symptomatiques à 45 à 85 %. Cette fréquence varie selon le mode de contamination (atteignant 75 % chez les personnes contaminées lors d’accidents professionnels exposant au sang), la fréquence d’exposition, l’importance de l’inoculum, la charge virale du donneur, mais aussi selon la méthodologie des études rapportées, dont la plupart sont, pour tout ou partie, rétrospectives.

Les manifestations cliniques les plus fréquentes sont peu évocatrices et réalisent un tableau de syndrome grippal avec fièvre (90 à 96 % des cas), myalgies (46 %), arthalgies (30 %), céphalées (29 %) et amaigrissement (17 %), pouvant relever de bon nombre d’infections virales bénignes.

Moins fréquents, d’autres signes cliniques, cutanéo-muqueux, ont cependant valeur d’alerte, au même titre que des circonstances épidémiologiques faisant évoquer un risque récent d’exposition au VIH.

Les signes cutanés sont notés dans 3/4 des cas, le plus souvent sous la forme de rash maculopapuleux (63 %), plus rarement d’urticaire (7 %), siégeant préférentiellement sur le tronc, la face, le cou, les membres, voire même les extrémités, n’épargnant ni les paumes ni les plantes. Leur délai moyen d’apparition, après le début des symptômes généraux, est de 3 jours (extrêmes: 0 à 15), et leur durée moyenne d’évolution de 10,5 jours (extrêmes: 3 à 26 jours).

Des manifestations buccales sont rapportées dans 77 % des cas; il peut s’agir de pharyngite (40 à 65 %), d’ulcération(s) buccale(s) (40 %), voire de candidose (20 %). Des ulcérations génitales sont observées dans 23 % de la totalité des cas, et sont significativement associées à la transmission du VIH par voie sexuelle.

Les manifestations cutanées et muqueuses sont significativement associées: des lésions muqueuses sont observées chez 52 % des patients ayant une atteinte cutanée, et des lésions cutanées chez 85 % des patients ayant une atteinte muqueuse.

Les signes ganglionnaires (polyadénopathie superficielle à prédominance cervicale et axillaire) sont fréquents (57 % des cas), mais tardifs, apparaissant vers la deuxième semaine des manifestations cliniques, et persistant pendant plusieurs semaines. Une splénomégalie est plus rarement rapportée (17 % des cas).

Les manifestations digestives les plus fréquentes sont banales, à type de diarrhée (27 %); des ulcérations œsophagiennes, plus rares (4 à 10 %), sont plus évocatrices. D'autres manifestations cliniques sont plus rares, mais plus spectaculaires et d'ores et déjà classiquement rattachées à l'infection par le VIH. Il s'agit de manifestations neurologiques (13 % des cas): méningites aiguës lymphocytaires ou méningo-encéphalites (10 %), neuropathie périphérique (2 %), voire paralysie faciale (3 %).

Des signes pulmonaires (toux) concernent 11 à 13 % des patients, mais les authentiques pneumopathies interstitielles liées à une alvéolite lymphocytaire ne sont documentées que dans 1 % des cas.

D'autres atteintes, anecdotiques, ont été décrites: atteintes rénales, rhabdomyolyse aiguë, myocardite, conjonctivite, monoarthrite, alopécie, syndrome de Stevens-Johnson, et aussi infections opportunistes, dont les plus fréquentes sont les candidoses œsophagiennes.

Les signes biologiques non spécifiques les plus fréquents, qui ont aussi valeur d'alerte, sont hématologiques; des anomalies de la numération de la formule sanguine (NFS) existent dans 91 % des cas: thrombopénie (<150 000/mm3) chez 3/4 des patients, leucopénie (<4000/mm3) et/ou présence de lymphocytes hyperbasophiles chez 50% des patients. Une cytolyse hépatique est rapportée dans 23 à 46 % des cas.

La durée des symptômes de la primo-infection est de 14-21 jours, mais les valeurs extrêmes varient de 2 à 75 jours. Le délai moyen entre la contamination et les premiers symptômes est de 15 à 31 jours (avec des extrêmes de 3 à 180 jours).

Les principaux diagnostics différentiels à évoquer sont des infections virales (grippe, rubéole, mononucléose infectieuse, infection à cytomégalovirus, dengue, hépatite virale), la primo-infection toxoplasmique, et la syphilis.

Le classique syndrome pseudo-mononucléosique, rassemblant plusieurs des symptômes les plus fréquemment rapportés au cours des primo-infections par le VIH, est considéré comme très évocateur; il est en fait rarement complet. Dans une étude récente, colligeant 218 cas de primo-infection symptomatique, cette association syndromique n'est répertoriée que dans 15 % des cas; celle des formes non fébriles dans 23 % des cas. C'est dire la valeur de chacun des signes cliniques, et donc de l'examen clinique attentif et complet, de la recherche d'une exposition récente au VIH ou à risque, pour poser l'indication des tests virologiques diagnostiques qui ne seront effectués qu'après information et consentement du patient.

Une étude récente concernant des patients avec primo-infection ou séroconversion datant de 12 mois montre que la primo-infection par le VIH est symptomatique dans 89 % des cas et que les symptômes sont suffisamment sévères pour justifier un recours dans 90 % des cas et une hospitalisation dans 15 % des cas; elle montre aussi que ces symptômes n'ont conduit à l'évocation du VIH et à la réalisation d'un test diagnostique virologique que chez 71 % des patients inclus au moment de leur primo-infection, et seulement 30 % des patients ayant séroconverti durant l'année précédente. C'est dire qu'ils sont encore souvent identifiés de façon rétrospective, par les patients ou leurs médecins. - Sophie Matheron


1 - De Noray G et al.
Med Mal Inf, 1993, 23, 643-652

2 - Kinloch-de-Loës S, de Saussure P, Saurat JH et al.
"Symptomatic primary infection due to HIV-1: review of 31 cases"
Clin Infect Dis, 1993, 17, 59-65

3 - Kinloch-de-Loës S, Hirschel B, Hoen B et al.
"A controlled trial of zidovudine in primary human Immunodeficiency virus infection"
N Engl J Med, 1995, 333, 408-413

4 - Schacker T, Collier AC, Hughes J et al.
"Clinical and epidemiologic features of primary HIV infection"
Ann Intern Med, 1996, 125, 257-264

5 - Vanherns P et al.
Clin Infect Dis, 1997, 24, 965-970