La Suisse est le pays européen le plus avancé en matière d’évaluation des politiques publiques, comme nous avons pu en avoir un aperçu dans mon entretien du 29 septembre dernier avec Emmanuel Sangra, président de la SEVAL (Société suisse d’évaluation). Aujourd’hui, sa compatriote, Katia Horber-papazian, assure la coordination d’un nouvel ouvrage intitulé « Regards croisés sur l’évaluation en Suisse ».
Professeure à l’Institut de Hautes Etudes en Administration Publique (IDHEAP) de l’université de Lausanne, ses domaines d’enseignement, de recherche et d’expertise en Suisse et à l’international portent sur le pilotage et l’évaluation des politiques publiques, l’institutionnalisation et la valorisation de l’évaluation, la gouvernance multi-niveaux et les réformes institutionnelles et territoriales. Le point avec elle sur cet ouvrage original. »
Colette Lanson : L’évaluation est fortement ancrée dans votre pays. Quel(s) objectif(s) poursuiviez-vous donc avec la parution d’un tel ouvrage ?
Katia Horber-Papazian : Il y a 25 ans, alors que l’évaluation en était à ses prémisses en Suisse, j’ai coordonné un ouvrage dont le titre était « L’évaluation des politiques publiques en Suisse : Pour quoi ? Pour qui ? Comment ? ». Il m’est donc apparu important 25 ans plus tard, à l’occasion de l’année internationale de l’évaluation de déterminer, non seulement quelle est la place de l’évaluation en Suisse, puisque comme vous le soulignez très justement elle y est fortement ancrée, mais aussi et surtout, quelles sont les conséquences de cet ancrage institutionnel sur le fonctionnement des institutions et sur le pilotage des politiques publiques.
CL : Pourquoi avoir choisi de donner la parole à des ressortissants canadien, français, mauritanien, nigérien et sénégalais ?
KHP : En plus d’auteurs suisses issus du monde politique, administratif, académique et privé, je me suis en effet également adressée aux auteurs des pays que vous mentionnez pour soumettre l’expérience suisse à leur regard. Cette idée de regards croisés sur l’expérience suisse découle de mon engagement international dans la promotion de l’évaluation, notamment dans le cadre du Réseau francophone de l’évaluation (RFE). Ce réseau, présidé actuellement par Guy Cauquil, ancien président de la Société française de l’évaluation, a pour objectif de soutenir l’institutionnalisation de l’évaluation dans les pays du Sud grâce principalement au développement de formations, à l’aide apportée pour l’organisation de congrès ou de conférences ainsi qu’à la création de plate-forme de partage d’expériences. Dans ce contexte, la Suisse est souvent considérée comme un modèle. A l’issue de chacune de ces rencontres, en me basant sur les questions qui me sont posées et les suggestions qui me sont faites, je rentre persuadée que le modèle suisse est largement perfectible. Aussi, ai-je souhaité partager la richesse de ces différents regards sur l’expérience suisse avec les lecteurs de l’ouvrage. Il est évident que pour se positionner sur la Suisse, chaque auteur parle aussi de l’expérience de son pays. Cette dimension comparative rend à mon sens, cet ouvrage encore plus intéressant.
CL : Dans votre conclusion générale, vous préconisez l’institutionnalisation de l’évaluation aux niveaux cantonal et communal. Selon vous, pourquoi le niveau communal peine-t-il toujours à recourir à l’évaluation, même dans les pays les plus avancés en la matière ?
KHP : Je pense qu’il est actuellement difficile au niveau communal de recourir à des évaluations pour des questions de taille des administrations et d’absence de sensibilisation des élus locaux à la question. Lorsque je forme des élus locaux à l’évaluation des politiques publiques, je me rends compte que beaucoup confondent l’évaluation avec le contrôle ou les audits. Il y a encore un très gros travail de sensibilisation à mener. Les ressources financières pour lancer des évaluations au niveau local manquent également. Nous avons développé le concept d’évaluations hybrides pour permettre à des communes de mener des auto-évaluations accompagnées méthodologiquement par des évaluateurs. Il y a à ce niveau encore beaucoup à faire pour que l’évaluation devienne un véritable outil d’aide à la décision.
CL : En votre qualité de membre du conseil d’administration du Réseau Francophone de l’Evaluation, ne pensez-vous pas qu’il pourrait être intéressant de réaliser une étude sur les pratiques territoriales francophones en matière d’évaluation ?
KHP : L’idée est très intéressante, mais je crains que pour l’instant ce ne soit un peu prématuré. Dans les pays du Sud des démarches évaluatives sont menées au niveau local sous l’égide des bailleurs de fonds, le plus souvent avec l’appui d’équipes internationales. L’idéal serait que de telles évaluations soient menées sur des politiques publiques nationales avec des équipes nationales. Dans ce sens le RFE a encore une mission importante devant lui.