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Présidée par Jérôme Clément, ex-président d’Arte, la 15e édition du festival Deauville Asia s’est achevée dimanche 10 mars par la remise du Lotus du meilleur film à I.D. du sympathique et jovial réalisateur indien Kamal K.M. Pour autant, cette édition 2013 ne restera pas dans les annales tant le niveau d’ensemble des films projetés fut décevant.

Outre l’absence de ligne directrice reliant les œuvres proposées entres elles, le fossé existant entre les films projetés en compétition officielle et ceux programmés hors-compétition aura rarement été aussi conséquent. Il faut dire qu’entre la diffusion du nouveau film de Wong Kar-wai (The Grandmaster, biopic sur le légendaire maître de Bruce Lee, Ip Man), l’honneur fait enfin à Sono Sion (The Land of Hope, épatante digression autour de l’accident de Fukushima), la projection du nouveau Kim Ki-duk (Pieta, Lion d’Or à Venise tout de même) et l’incroyable diptyque de Kiyoshi Kurosawa (Shokuzaï, un drama à l’origine) les longs-métrages présentés en dehors de la sélection officielle, et sur lesquels nous reviendront lors de leur sortie en salle, étaient tous d’un niveau remarquable.

Preuve de l’absence de ligne directrice en termes de programmation, la présence en sélection officielle de deux œuvres que tout oppose : The Last Supper du Chinois Lu Chuan et The Town of Whales de la Japonaise Keiko Tsuruoka. Soit d’un côté une méga-production chinoise où chaque plan suinte l’argent et, de l’autre, un film de fin d’année d’études tourné en vidéo avec des comédiens et des techniciens amateurs.

The Last Supper était, sans aucun doute, l’un des moments les plus attendus du festival. En effet, les spectateurs piaffaient d’impatience de découvrir le nouvel opus du réalisateur de Kekexili, la patrouille sauvage (excellent western tibétain sorti en 2006 en France) et surtout de City of Life and Death (2010), magnifique fresque historique filmée en noir et blanc sur le massacre de Nankin en 1937. Et la déception fut malheureusement à la hauteur de l’attente, The Last Supper étant tout bonnement incompréhensible. Plastiquement superbe grâce notamment aux soins apportés aux décors et aux costumes, la quatrième réalisation de Lu Chuan est une œuvre froide de par l’absence d’identification aux personnages et illisible pour tous spectateurs non initiés aux faits et gestes de ces héros fondateurs de l’histoire de la Chine. Dénué d’action et gâché par une utilisation ostentatoire du numérique, The Last Supper agace au final par l’affichage trop évident de ses ambitions formelles aux dépens du fond. Soit l’opposé du premier long-métrage de la réalisatrice japonaise Keiko Tsuruoka.

Par sa construction narrative, The Town of Whales apparaît pour sa part comme l’archétype du film d’étudiant prétentieux, désireux de s’inscrire dans la lignée des grands auteurs japonais contemporains. The Town of Whales raconte la quête d’une jeune fille, aidée par deux de ses amis, à la recherche de son frère perdu dans la capitale nippone. Propice aux questionnements amoureux de l’adolescence ainsi qu’aux balades fugaces dans des quartiers tokyoïtes rarement filmés, ce long-métrage modeste, bien que non exempt de qualités, n’en demeure pas moins mineur et pose indéniablement la question de sa sélection pour le moins anachronique.

ApparitionApparition, de Vincent Sandoval

En 1971, la jeune Lourdes rejoint un monastère, lieu de vie paisible et coupé du reste des Philippines. Elle découvre la vie au couvent et sympathise avec Sœur Remy. Cette dernière reçoit la visite de sa mère qui lui annonce la disparition de son frère, activiste de gauche. Malgré les réticences de la mère supérieure, Remy et Lourdes tentent de rejoindre des groupes d’opposants au régime. Prix du public, Apparition, du Philippin Vincent Sandoval, propose une réflexion minimaliste sur le péché, la culpabilité et la foi. Placée dans un contexte historique et politique précis (la dictature philippine des années 70) cette œuvre parfaitement réalisée et photographiée pose tout de même la question du regard que se doit de porter un auteur sur son œuvre. Explorant diverses pistes sans en condamner aucune, hésitant en permanence entre son contexte historico-sociologique et son discours théologique, Sandoval livre au final un long-métrage consensuel dont le prix du public semble résonner comme une évidence.

TaboorTaboor, de Vahid Vakilifar

Loin, très loin même, de faire chavirer le cœur du public deauvillais, Taboor du réalisateur iranien Vahid Vakilifar questionne à sa manière la durée théorique d’un plan au cinéma. Interminable par moments, ce film plastiquement superbe raconte les « aventures » d’un homme hypersensible aux ondes électromagnétiques qui l’entourent. Vêtu d’une combinaison en aluminium protecteur, il cherche chaque jour à remplir sa mission : désinfecter les habitations. Proposant un objet cinématographique non-identifié souvent hypnotique de par la vacuité de certaines scènes, Vakilifar réalise avec Taboor le plus beau film de la compétition mais également le plus vain. Récompensé par le prix de la critique internationale (?), cette œuvre à la narration et aux dialogues minimalistes, croisement improbable entre le cinéma iranien tendance Abbas Kiarostami et la science-fiction apocalyptique, aura été le moment le plus énigmatique de ce festival.

TheWeightThe Weight, de Jeon Kyu-hwan

Grand absent du palmarès et pourtant seul grand film de la compétition, The Weight de Jeon Kyu-hwan est un objet unique dans la lignée de Freaks de Tod Browning. Narrant les mésaventures d’un thanatopracteur bossu amoureux de son demi-frère transsexuel et dont la vie oscille en permanence entre réalité et fiction, cette cinquième réalisation du cinéaste sud-coréen est une œuvre forte et impitoyable, une ode à la tolérance entrecoupée de scènes choc. Culminant dans une séquence de bal se déroulant dans une  morgue où la moitié des participants danse nue, The Weight propose un poème visuel dont la froideur, voire la bizarrerie, peut effrayer. Mais qu’importent ces réserves : vrai plaisir de cinéma, cette histoire d’amour et de mort aurait mérité de culminer au sommet du palmarès de cette 15e édition. Las ! À la vue de la constitution du jury, il apparaissait comme une évidence que ce film trop onirique et brutal n’aurait aucunement sa place pour une quelconque récompense.

idI.D., de Kamal K.M.

Lotus du meilleur film, I.D., du réalisateur indien Kamal K.M., propose une première demi-heure quasiment exceptionnelle. Charu partage un appartement avec quelques amies dans l’une des tours de Mumbai. Un ouvrier se présente pour faire des travaux de peinture. Charu retrouve celui-ci quelques minutes plus tard allongé sur le sol, inconscient. Paniquée mais animée par la volonté de bien faire, elle part sillonner la ville de long en large à la recherche de la moindre information qui puisse la renseigner sur l’identité de cet homme… Réflexion sur la perte d’identité de ces travailleurs migrants broyés par l’anonymat de la mégalopole, I.D. pose un regard sans concession et lucide sur Mumbai. Filmant son actrice principale dans sa quête des secours puis à la recherche d’informations dans les hôpitaux, Kamal K.M. réalise une première partie de film proprement stupéfiante et énergique. Mais, en désirant prendre un virage pseudo-documentaire à mi-course, le cinéaste indien finit par se perdre, à l’image de son actrice principale, dans les méandres des bidonvilles où chaque scène semble donner lieu à une accumulation de clichés.

Marqué par la crise, ce festival aura en 2013 opéré des changements pour le moins surprenants. On pourra notamment regretter l’absence lors de cette édition de la section Action Asia (problème économique ou réelle volonté des programmateurs ?), certes en perte de vitesse ces dernières années mais qui avait le mérite de drainer un certain nombre de fans du cinéma d’action asiatique et dont l’absence, cette année, s’est faite  cruellement sentir. Si l’objectif de Deauville Asia est de perdurer, alors l’événement mérite un renouvellement indispensable, ainsi qu’une ligne de programmation forte.

Fabrice Simon

Bande-annonce (en version originale sous-titrée anglaise) de The Weight

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