Vous, les ancêtres
Le 13 mai 1667, quelque part en Cornouailles, Abigaïl Welsh, « vierge depuis vingt-six ans et trois mois », découvre un « énorme couffin » transportant un nourrisson : « cette poubelle navigable rassemble une loutre, un oisillon mort, des restes de langes végétaux, une pâte de selles mêlées d’urine, l’enfant et une fleur puante, qui se love dans son cou » (9). Abandonné à un fleuve par sa mère, une fille de « treize ou quatorze ans » aux « cheveux rouges » et aux « yeux jaunes », accusée d’avoir « couché avec le diable », d’être une sorcière, donc, et qui mourra peu après des séquelles de son accouchement, l’enfant sera adopté par Abigaïl, et baptisé du nom de Jane. C’est à partir de cette scène initiale que se déploiera la trame dense et vertigineuse du nouveau roman de Bessora, couronné du Prix suisse de littérature 2024 et du Prix Ahmadou Kourouma 2024, premier tome de La Dynastie des boiteux dont ont déjà paru, en 2018, Zoonomia et Citizen Narcisse, respectivement les tomes III et IV d’une tétralogie qui se construit de manière non linéaire.
Jane Welsh, élevée par sa mère adoptive, travaillera sur le domaine de Lord Somerset, dans le Wessex, et se verra condamnée à l’exil, accusée à tort d’avoir volé un pot de lait. Elle est transportée dans un bateau de traite aux États-Unis, au Maryland, où elle sera vendue à un Tyrolien du nom d’Arnold Schwarz, « chêne autrichien » auquel il vaut mieux « se plier », grand amateur, par ailleurs, de Linzertorten. Affranchie au bout de « sept ans, cinq mois et treize jours de servitude », elle rencontrera un esclave originaire du Gabon, Banneka, avec qui elle fondera une famille qui prendra le nom de Benneky. Alors qu’elle boite depuis qu’elle s’est mise à marcher, lui porte sur son front une « cicatrice en forme de couronne ». Ensemble ils seront à l’origine d’une nouvelle dynastie dont le roman évoque sept générations, mettant l’accent sur les deux premières et la dernière.