quand des ministres parlent vrai

Il est rare que les gouvernants disent la vérité. Nous nous souvenons d’un ministre du commerce extérieur de Mitterrand, Michel Jobert (il faut donc remonter loin dans le temps), qui s’y risqua  : « Comme on lui demandait pourquoi les voitures françaises se vendaient peu au Canada, il eut ce cri du cœur : Que voulez-vous, les voitures françaises rouillent ! » (cf. note LSP intitulée « Aux marches du palais »).
Crime de lèse-constructeurs automobiles qui lui valut les remontrances qu’on imagine !
Plus près de nous, Élisabeth Borne, alors première ministre de Macron, déclara en mai 2023 que le Rassemblement national, ex-Front national, était l’« héritier de Pétain ». Quoi de plus juste ? Cela lui valut d’être « recadrée » par le président.
Il s’agit là de cris du cœur dont les auteurs, nous allions dire les coupables, se sont fait taper sur les doigts. Où va-t-on si l’on commence à dire la vérité ?
Parfois, nos gouvernants, tout en piochant dans les « éléments de langage » bien lissés fournis par leurs collaborateurs, utilisent un mot ou une formulation qui révèle leur véritable pensée, à rebours de leur discours officiel. Ainsi de Jean-Louis Borloo, ministre du travail, qui déclara en 2004, après l’assassinat de deux inspecteurs du travail par un petit patron qu’ils venaient contrôler, qu’il s’agissait d’un « incident ». Tuer par balle, dans le dos, deux agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions, c’était un incident : « petit événement », « péripétie », « anicroche » (Petit Robert 2020). Il ne pouvait pas mieux livrer le fond de sa pensée, à l’insu de son plein gré. Des mauvaises langues avaient aussi employé à cette occasion l’expression latine si vraie : in vino veritas (dans le vin se trouve la vérité).
Une tribune d’enseignants publiée le 28 mai par Le Monde montrait que l’emploi ou non du possessif « nos » par Gabriel Attal, alors ministre de l’éducation nationale, dans une lettre adressée aux « personnels de l’éducation » le 5 décembre 2023, révélait sa pensée profonde.
Voici l’extrait évoqué par cette tribune :
« Je suis convaincu que les groupes de niveau en mathématiques au collège nous aideront eux aussi à redresser la barre. Ils donneront aux élèves les plus en difficulté la possibilité, en petits groupes, de combler les lacunes et de progresser. Quant à nos élèves ayant le meilleur niveau et la plus grande appétence, ils y verront l’opportunité de s’envoler, en allant plus loin encore que le programme. »
Les auteurs ont eu raison de signaler ce fait, minime en apparence, mais qui en dit long. Attal aurait inversé l’article et le possessif que cela n’aurait d’ailleurs rien changé : nos élèves les plus en difficulté et Quant aux élèves ayant le meilleur niveau, car c’est un discours de ministre. Mais il a bien montré, sans doute à son corps défendant, en employant le possessif dans un cas et pas dans l’autre, que les premiers l’intéressaient bien moins que les seconds, ce qui est dans la nature de notre société et n’étonnera personne.

 

les « think tanks » marchent au kérosène

La parade militaire du 14-Juillet à Paris : un grand moment de la pensée chenillée.

Il semble que l’expression chenillée « think tank » soit entrée au Robert dans son édition 2024. Dans l’édition 2020, celle dont nous disposons, elle n’y figurait pas encore. Concession à l’air du temps : Robert aura un peu résisté ; Larousse avait été plus rapide sur ce coup. Comme nous l’écrivions dans une note intitulée le think tank ou le Panzer de Rodin, cette locution « nous évoque plus le fracas des chenilles liberticides sur l’asphalte et la pétarade des moteurs diesel que le travail des neurones ».
Tank, en anglais, signifie réservoir, cuve, bidon, et ne renvoie pas à la chose militaire. L’expression peut se traduire littéralement par « réservoir de pensées ». On la traduit généralement par laboratoire d’idées, ce qui nous éloigne beaucoup du réservoir initial. Club pourrait suffire. En français, tank  signifie blindé, char d’assaut, voire automitrailleuse ; d’ailleurs, on appelle les servants qui composent son équipage les tankistes. Cet engin, apparu pendant la guerre de 1914 (mais que Léonard de Vinci avait déjà imaginé et dessiné), nous paraît l’image même de l’oppression et du militarisme. Accoler la pensée et les tanks, cela relève de l’oxymore : on nous rétorquera que cela va bien avec l’ambiance actuelle où l’on nous invite de partout à marcher au pas. Il y a quelques semaines, les médias nous annonçaient comme une bonne nouvelle l’augmentation des budgets militaires en Europe !
Selon Wikipédia, le nombre de think tanks ne cesse d’augmenter : de quoi former des tas de divisions blindées.   

Vive la CELF et le plurilinguisme !

À l’occasion de l’installation d’une nouvelle Commission d’enrichissement de la langue française (ou CELF), renouvelée pour quatre ans – la dernière cérémonie en date a eu lieu le lundi 27 mai dans un très beau salon du ministère de la culture (les « ors de la République », c’est quelque chose) –, un exercice récurrent se pratique : comme lors d’une réunion mensuelle de la CELF, examiner quelques termes proposés par différents collèges d’experts comme équivalents aux termes anglais qui, pour l’heure, ratissent le terrain du vocabulaire, des vocabulaires en tous domaines. Difficile exercice de terminologie, car encore faut-il que les termes proposés aient des chances de « prendre », comme la mayonnaise, grâce à leur brièveté, leur pouvoir d’évocation…
Donnons un exemple de trouvaille qui date de quelques années : infox, c’est bref (pour une fois qu’un terme français est plus court que son cousin anglais !), percutant,  et c’est bien construit selon la syntaxe du français (information qui intoxique). Par ailleurs, le terme est plus rigoureux que la locution anglaise fake news (littéralement : fausses informations), comme l’écrivait Le Monde en 2018 :

Le lustre (dans tous les sens du terme) du salon des Maréchaux

 

Revenons à l’exercice du 27 mai, où furent examinés brièvement (5 minutes chacun 🙂 quatre termes anglais :
doomscrolling
patent troll
sharenting
et predatory publisher.

Prenons sharenting, un néologisme apparu semble-t-il dans le Wall Street Journal en 2012. Dans ce mot, on reconnaît le verbe share = partager. Et de quel partage s’agit-il ? On connaît la fâcheuse tendance de pas mal de parents à faire circuler sur les réseaux sociaux les photos de leur progéniture : bougies soufflées pour l’anniversaire, première brasse dans la piscine, déguisement pour la fête à l’école, jeu avec le chaton..,  la vie privée enfantine devient hautement publique, au risque de tomber sous les yeux de quelques prédateurs qui en salivent déjà… Voilà ce que c’est, le sharenting.
Et voici un aperçu de la (brève) discussion autour de ce terme :

Ce n’est qu’un début d’examen de la traduction proposée et de sa définition, car la chose sera prochainement discutée dans le groupe de travail de la CELF, avant de l’être en séance plénière de la Commission, un moment loin d’être guindé et académique ! même si c’est un « homme en vert » (Frédéric Vitoux) qui préside (mais pas en vert) la CELF

Frédéric Vitoux (à gauche), académicien et chaleureux président de la CELF, discutant avec Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l’Académie française


Un sacré travail de fourmi, n’est-ce pas ?

Avant de quitter la Rue de Valois (remarquez la majuscule à Rue : on désigne par cette subtilité typographique et métonymique le ministère de la culture, situé au n° 3 de la rue de Valois, Paris Ier), jetons un œil à quelques beautés du lieu…

       

 

Quel éblouissement de jaune dans ce couloir aux airs d’Alphaville,

œuvre de Felice Varini

 

 

 

        dans un autre couloir, menant au salon, ce délicat bouquet…

… sur une tapisserie de la manufacture de Beauvais, d’après une œuvre de Charles-Louis Müller (1815-1892) – Dépôt du Mobilier national


    Dans un tout autre genre, Müller est également l’auteur de cette saisissante toile, trouvée sur l’étourdissant Blog Gallica

« Pinel fait enlever les fers aux aliénés de Bicêtre », 1849

 

Un dernier coup d’œil pour la route ? sur le détail d’un Sans titre de Pierre Alechinsky, 1985

 


« outremer », écrit-il, sans trait d’union, 
bleu d’outremer, ou outremer tout court,
la couleur du lapis-lazuli,

 
et l’on écrit « outre-mer »,
l’au-delà des mers,

amers « outre-mer »

                    

 

 

 

 

il pleut des chefs-d’œuvre

Image de « Géo » illustrant l’article : « Histoire de l’art : les plus grands chefs-d’œuvre décryptés. » Autoportrait de Gustave Courbet intitulé « Le Désespéré ».

Il arrive au substantif chef-d’œuvre ce qui s’est déjà produit avec l’adjectif génial : employé à tout bout de champ, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Lisez et écoutez les critiques littéraires, cinématographiques, etc., l’émission radiodiffusée Le Masque et la Plume par exemple (remarquable au demeurant), il y pleut des chefs-d’œuvre.
A l’origine, ce mot était employé pour désigner « l’œuvre capitale et difficile qu’un artisan devait faire pour recevoir la maîtrise dans sa corporation » (Petit Robert). On en réalisait un dans sa vie. Puis, selon le même dictionnaire, il en est venu à désigner la meilleure œuvre d’un auteur. Le chef-d’œuvre, c’est la perfection, le sublime, son synonyme, le prodige. Employé plus souvent qu’à son tour, il en vient à perdre toute substance : on lit et entend souvent « chef-d’œuvre absolu », ou « vrai chef-d’œuvre » pour remédier à cette perte : une sorte de béquille pour un mot qui n’en a pas besoin. Galvauder ce mot, c’est brouiller les repères, ajouter à la misère du monde comme le disait Camus, « épaissir le mensonge universel ».  

Les hommes à l’âge du fer (à repasser)

ON aurait tort de penser que Maréchal-nous-voilà est le grand initiateur de la Fête des mères (c’est demain). Lisez donc cet intéressant article sur le site de la BnF pour en savoir beaucoup plus…

Alors, qu’allez-vous lui offrir à votre mère? 

                    ou 

 

 

Si les femmes ont largement dépassé l’âge du fer (à repasser), ce n’est pas le cas d’innombrables hommes, qui peinent à trouver le chemin de la cuisine ou à installer sur une table destinée à cet usage l’accessoire ci-dessus qui leur permettrait de se livrer à un exercice pas des plus simples : repasser une chemise.

Pour les accompagner dans ce délicat art ménager, quelques hommes ont installé cette après-midi sur la place des Fêtes (Paris 19e) une table à repasser et sa garniture de fer, mais aussi une table à langer sur laquelle un poupon attend patiemment qu’on lui mette sa couche

  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

             le tout sous la banderole
     

Si vous ne connaissez pas Zéromacho, c’est le moment de faire connaissance…, car ces hommes-là ne s’intéressent pas qu’aux arts ménagers ; autre sujet d’ampleur : la prostitution, notamment dans les salons de massage aux petites lumières multicolores.

Un autre genre de repassage

Et n’oublions pas que dans des pays d’Afrique, des jeunes filles subissent ce qu’on appelle le « repassage des seins » :

Le « repassage des seins » consiste à appliquer des objets chauds, pour ne pas dire brûlants, sur la poitrine encore naissante de jeunes filles. Le « repassage des seins » se pratique dans le cercle familial et c’est généralement la mère qui s’en charge. Souvent elle-même victime de cette mutilation, elle reproduit ce qu’elle a subi sur sa propre fille.
(extrait d’un article dans « Marie Claire »)

(photos : LSP)

 

 

J.O. : tous ensemble derrière Coca

Impossible d’échapper à la campagne de publicité de Coca-Cola sur les jeuzolympiques dont le texte est : « Tous ensemble derrière la flamme » (olympique), sur des photos de groupes en survêtement autour d’un porteur de flambeau qui font penser à l’imagerie maoïste des années soixante.

Notons d’abord que ce « tous ensemble » n’est pas très inclusif et surtout qu’il est très jussif : c’est une injonction que Coca nous donne. Jussif, du bas latin jussio, « ordre ». Le jussif est une « notion linguistique qui recouvre l’ensemble des moyens dont dispose une langue pour exprimer un ordre » (Wikipédia).
Cette entreprise qui nous injonctionne est « partenaire » des J.O. depuis des lustres. Elle serait la plus connue des firmes mondiales, la dixième des plus puissantes du monde : 45 milliards de chiffre d’affaires en 2023.
D’après certaines mauvaises langues, The Coca-Cola Company (son nom officiel) serait le plus gros polluant plastique du monde. Il y a toujours des mauvais coucheurs qui viennent troubler la fête ! Selon d’autres aigris, elle serait le plus grand empoisonneur de la planète et grand responsable de la propagation mondiale du diabète et de l’obésité. Elle nous empoisonnerait donc doublement, par le sucre et le plastique.

Un article du Monde de janvier 2013 commençait ainsi :
« Coca-Cola, attention danger ! On le sait, on le dit, on l’entend, mais on finit souvent par ne plus y prêter l’attention nécessaire : consommés en trop grandes quantités, les sodas sont un véritable poison » ; il continuait :
« Le sucre contenu dans ces boissons provoque de vrais ravages chez les jeunes, à peu près autant que s’ils fumaient deux paquets de cigarettes par jour ! Autres dégâts, nous apprend Olivia Mokiejewski : Coca-Cola va se fournir en eau dans une nappe phréatique du Mexique. La population, du coup, manque d’eau, et se désaltère… au Coca. Les Mexicains en sont ainsi devenus les plus gros consommateurs. D’ici quelques années, 100 % de la population mexicaine pourrait devenir obèse. »
Comment imaginer sponsor plus adapté aux Jeux que cette compagnie qui rafle toutes les médailles d’or ?

ah ! si les athlètes concouraient nu(e)s

      On n’a pas fini d’en consommer, des Jeux, jusqu’à l’overdose. Et on n’en est qu’au before, ce relais de la flamme prétendument venu de l’Antiquité grecque, mais qui a une tout autre origine, nettement moins présentable. Que vont-ils nous trouver pour l’after ? Lors des Jeux antiques (strictement réservés aux hommes, athlètes comme spectateurs), qui eux au moins n’étaient pas sponsorisés par une marque de boissons qui concourt à propager mondialement l’obésité et le diabète, les athlètes concouraient nus. Notre mot gymnastique vient du grec gymnos, « nu » !  Pourquoi ne pas reprendre cette saine tradition ? Aucun voyeurisme, dans ce cas, mais plutôt l’exaltation de la beauté corporelle sans hypocrisie et surtout, surtout, aucune marque d’appartenance nationale. Le sport sans cocarde ni drapeau. 

C’était l’bon temps des colonies

QUI est donc ce monsieur peint par Alexis Simon Belle et qui pète dans la soie ?… Né en 1655 et mort en 1738, il s’appelle Antoine Crozat, dont Saint-Simon dira qu’il était « l’un des plus riches hommes de Paris ». Crozat avait une fille,  Marie-Anne, qu’il donnera pour épouse (alors qu’elle a à peine 12 ans) à un aristocrate, Louis-Henri de La Tour d’Auvergne, comte d’Évreux ; l’important dans l’affaire, c’est que le père Crozat mette un pied dans la noblesse et que Louis-Henri empoche une très très belle dot (quand on est endetté, ça ne se refuse pas). Car beau-papa, parmi d’autres activités, dirige la Compagnie de Guinée, créée en 1684 par Louis XIV et l’une des plus importantes sociétés de « commerce triangulaire », locution géométrique qui en cache une autre plus parlante : traite négrière. Précisons que cette compagnie avait pour but de se livrer au « commerce des nègres, de la poudre d’or et de toutes les autres marchandises » sur les côtes africaines.
Crozat, qui habite déjà un hôtel particulier place Vendôme, au n° 17, en fait construire un autre au n° 19 pour sa fille et son gendre. Mais Louis-Henri s’en lasse et, puisant dans la dot, s’en fait construire un autre rue du Faubourg-Saint-Honoré. Après lui, la modeste demeure passera en diverses mains, dont celle de la marquise de Pompadour, avant de prendre le nom de palais de… l’Élysée.

C’est une des histoires édifiantes du récent ouvrage de l’historien et piéton de Paris Pascal Varejka et de la photographe Marinette Delanné Paris, capitale d’un empire colonial… à travers statues, rues, édifices*.

Pour une rue Louis-Delgrès (20e) – républicain qui lutta contre le rétablissement de l’esclavage à la Guadeloupe par l’illustrissime Napoléon Ier –, un quai Aimé-Césaire (1er), un jardin Toussaint-Louverture (20e) –, un jardin Solitude (17e) – esclave guadeloupéenne qui se rebella elle aussi contre le rétablissement de l’esclavage –,

combien de boulevard d’Indochine (19e), statue de Jules Ferry (aux Tuileries) (« Il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures« )

Rappelons que son descendant Luc Ferry
n’avait pas été moins brillant
en prononçant en 2012 quelques phrases musicales

monument à Francis Garnier (1839-1873) (place Camille-Jullian, dans le 5e), un « artisan de la pénétration française au Tonkin », comme on le lit sur un site d’histoire

 station de métro Gallieni (né en 1849, mort en 1916, terminus de la ligne 3) : « L’action politique (…) tire sa plus grande force de la connaissance du pays et de ses habitants (…). C’est l’étude des races qui occupent une région, qui détermine l’organisation politique à lui donner, les moyens à employer pour sa pacification (…). »

extrait d’un compte-rendu de lecture à propos de l’ouvrage « Gallieni », de Michel Marc, Fayard, 1989

cité du Général-Négrier (!) (7e), « qui s’est fait connaître par les exactions commises par ses hommes pendant qu’il commandait la province de Constantine dès les années 1830 », écrit Pascal Varejka

buste du général Gouraud (square d’Ajaccio, 7e), 1867-1946

monument à Lyautey

une belle brochette lors de l’inauguration du pavillon néerlandais à l’Exposition coloniale parisienne le 8 mai  1931, dans laquelle on reconnaît (2e à partir de la gauche) Paul Reynaud, ministre des colonies, et en costume blanc impeccable Hubert Lyautey (photo de l’agence Rol – source : Gallica)

rue du Congo (12e). Les auteurs de l’ouvrage ne manquent pas de rappeler une construction bien oubliée, celle du chemin de fer Congo-Océan** (près de 900 km, de 1921 à 1934) « qui a coûté cher en hommes ».

René Maran

Lisez ce prenant  « Paris colonial », vous y découvrirez bien des faits et des noms que vous ignorez peut-être, dont celui de René Maran, pourtant Prix Goncourt en 1921, qui écrivait notamment dans la préface de son livre primé Batouala :
« Au cours d’une interpellation à la Chambre, le ministre de la Guerre, M. André Lefèvre, ne craignit pas de déclarer que certains fonctionnaires français avaient cru pouvoir se conduire en Alsace-Lorraine reconquise, comme s’ils étaient au Congo français. De telles paroles, prononcées en tel lieu, sont significatives. Elles prouvent, à la fois, que l’on sait ce qui se passe en ces terres lointaines et que, jusqu’ici, on n’a pas essayé de remédier aux abus, aux malversations et aux atrocités qui y abondent. »

♠ ♠ ♠

* aux éditions du Petit Pavé, 28 euros

** ne manquez pas de regarder l’excellent documentaire sur France 5 Congo-Océan, un chemin de fer et de sang, disponible jusqu’au 2 juin

 

il y a 69 ans, le meurtre d’Emmett Till

« Emmett Till : comment elle l’a envoyé et comment il lui est revenu. »  Lisa Whittington, 2012.

Arte propose en ce moment sur son replay un documentaire sur le lynchage en 1955 du jeune Emmett Till qu’il serait dommage de ne pas regarder.
Ce meurtre et le procès qui suivit eurent un immense retentissement. Bob Dylan en fit plus tard une chanson :
The Death of Emmett Till.

Emmett Till, 14 ans, un gamin noir de Chicago, est invité en août 1955 par son oncle à venir visiter le Mississippi, où ses ancêtres ont subi l’esclavage. C’est un ado plutôt moqueur, qui ne connaît rien du « Sud profond ».
Dans la bourgade de Money, où réside son oncle, il se rend avec d’autres gamins noirs dans une petite épicerie. Selon eux, et à leur grand effroi, en sortant, il aurait sifflé la jeune femme qui tenait la caisse. Deux jours plus tard, il est enlevé par le mari de la caissière et son frère. Ceux-ci le torturent dans un hangar, sans doute avec des complices et avec la femme, au point de le rendre méconnaissable, puis lui tirent une balle dans la tête et jettent son corps lesté dans une rivière. Celui-ci est vite retrouvé car un pied dépasse de l’eau.
Lors de ses funérailles, la mère d’Emmett exige que son cercueil reste ouvert pour que l’on puisse voir dans quel état son fils lui a été rendu et doit déclouer elle-même le couvercle devant le refus qui lui a été opposé. Cinquante mille personnes auraient défilé devant lui.
Un procès eut lieu dès septembre, ce qui est plutôt étonnant, où les deux frères furent acquittés, ce qui l’est moins, par les douze jurés, douze hommes blancs, que l’on put entendre rire, plaisanter et boire dans la salle où ils se trouvaient. Le procès fut abondamment filmé, et on peut constater qu’y régnait presque une ambiance de fête de village, tout le monde venant donner l’accolade aux deux accusés. 
Lesquels reconnurent plus tard le meurtre sans que cela ait la moindre conséquence pour eux. La femme, Carolyn Bryant, qui est morte il y a juste un an, a écrit des mémoires dans lesquels elle ne montre pas de remords et se présente comme une victime.
Cet événement et la décision de la mère d’Emmett, Mamie Elizabeth, furent pour beaucoup dans la montée de la lutte pour les « droits civiques » et la naissance des Black Panthers.
Quelques mois plus tard, quatre jeunes femmes noires, dont Rosa Parks, refusèrent successivement de laisser leur place assise à des Blancs dans des transports publics.
Avec le meurtre d’Emmett Till, puis l’acquittement des meurtriers, on atteignit le comble de l’abjection.
Faut-il préciser que le président de l’époque, Eisenhower, refusa de faire le moindre commentaire sur cette affaire ?

 

 

à la découverte de Maurice Sachs

Les hasards de l’existence nous ont fait tomber entre les mains un (Livre de) poche de Maurice Sachs, auteur né en 1906 dont nous ignorions tout, jusqu’au nom, intitulé Le Sabbat, à la couverture très sixties présentant une accorte jeune femme coiffée à la mode « garçonne » des années vingt, alanguie, au regard enjôleur et prometteur : sa lecture s’imposait donc.
Ce fut une révélation. Sachs tient à la fois de Casanova pour son côté séducteur et escroc, du Rousseau des Confessions, pour son côté « je bats ma coulpe, et même je me flagelle », lui pour son incapacité à suivre une ligne de conduite honnête, malgré ses multiples résolutions de s’acheter une conduite, et enfin de Saint-Simon pour la galerie de portraits époustouflante des gens qu’il a côtoyés. Dans l’ordre : Cocteau, Gide, Maritain, Max Jacob, Soutine, Pierre Fresnay, Malraux. Presque une encyclopédie de l’entre-deux guerres. Il fut tour à tour séminariste (quelques mois), écrivain, éditeur, galeriste, conférencier aux Etats-Unis, traducteur, toujours charmeur et assez filou…
Son texte s’interrompt en 1939.
Si l’on en croit sa notice Wikipedia, il a très mal fini : indicateur de la Gestapo, puis emprisonné en Allemagne comme droit commun, pour finir par être assassiné en avril 1945 d’une balle dans la tête par un SS lors d’une marche de la mort.
Nonobstant, embarquez-vous pour ce sabbat.